Reprise collective : l'exemple des Bouquinistes - CDRQ

Reprise collective: l’exemple des Bouquinistes

24 mars9 minutes de lecture

En tant que propriétaire, céder à nos employés une entreprise qu’on a eue à cœur pendant plusieurs années peut s’avérer un véritable soulagement. Et un défi emballant pour les travailleurs!

Parcours d’une petite librairie au grand cœur.

Ayant pignon sur rue depuis une quarantaine d’années, la librairie indépendante Les Bouquinistes, à Chicoutimi, fait résolument partie du patrimoine culturel de la région, et même, pourrait-on dire, de son ADN.

Uniques actionnaires depuis quelques années déjà, Laval Martel et Anne Le May sont maintenant à la retraite. Mais lorsqu’ils ont commencé à songer à se retirer, pas question pour eux de laisser la librairie aux mains de n’importe qui. Cette entreprise dont ils avaient été fondateurs était beaucoup trop importante pour eux. Leur souhait ? Que les employés la rachètent.

Quelques données sur l’entreprise

Librairie Les Bouquinistes  

392, rue Racine, Chicoutimi

Inventaire : Plus de 20 000 livres dont une vaste collection d’ouvrages québécois

Fondation : 1979

Statut : Coopérative de solidarité (l’entreprise est passée de Inc. à une coopérative en 2021)

Nombre de membres : 250

Le défi initial

Que l’entreprise perdure et soit prise en main par des gens ayant à cœur sa mission après un départ à la retraite.

Le plan de départ

Que les employés ou un employé rachètent la librairie.

La solution finale

La reprise collective et la création d’une coopérative de solidarité.

Une reprise collective sous le signe de la solidarité

Shannon Desbiens est libraire depuis 14 ans aux Bouquinistes. C’est vers lui que Anne et Laval se sont tournés lorsqu’ils ont planifié prendre leur retraite. “Quand ils ont voulu vendre, ils m’ont demandé si je serais prêt à l’acheter, explique Shannon. Mais je ne me sentais pas vraiment la fibre entrepreneuriale.”

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Shannon Desbiens

Finalement, c’est le modèle de coopérative de solidarité qui s’est distingué. Anne Le May a fait ses recherches et a récolté pas mal d’information. En 2019, le Centre de transfert des entreprises du Québec, le CTEQ, a contribué au départ du projet, avec par la suite des conseillers de la Coopérative de développement régional du Québec (CDRQ).

Pour Shannon, le modèle coopératif lui permettait de miser sur ses forces ainsi que sur celles d’une équipe. “Je trouvais ce modèle plus égalitaire et diversifié, dit-il. Ce que j’aimais aussi, c’est le sentiment de pouvoir quitter et que la librairie perdurerait quand même. Ça m’enlevait de la pression sur les épaules.”

La coopérative de solidarité était la meilleure option car, en élargissant le cercle de membres, avec des membres de soutien et utilisateurs, on allait chercher davantage de mobilisation et encore plus d’expertises différentes, pour une gouvernance encore meilleure de l’entreprise.
Dominic Deschênes
Dominic Deschênes
Directeur régional CDRQ – Bureau Saguenay-Lac-Saint-Jean – Côte-Nord

Les défis

Un projet telle qu’une reprise collective implique nécessairement quelques défis. Dans le cas de la librairie Les Bouquinistes, l’entreprise était en bonne santé financière, son personnel était engagé et compétent, elle était bien implantée dans son milieu et elle avait depuis longtemps gagné l’affection de la communauté.

Mais il y a eu néanmoins quelques défis à relever lors de la reprise collective. Voici les principaux : 

Le manque d’expérience en affaires ainsi que le manque de connaissances du modèle coopératif des repreneurs

PISTES DE SOLUTION :

  • Former une équipe composée d’expertises et de forces complémentaires
  • Aller chercher de l’aide auprès d’experts
  • S’informer et poser des questions

Des négociations longues et parfois complexes entre les cédants, les repreneurs et les institutions financières

PISTES DE SOLUTION :

  • Multiplier les occasions de communiquer entre les parties
  • Aller chercher de l’aide auprès d’experts
  • S’armer de patience et rester mobilisé

La fusion entre le Inc., et la coopérative est relativement complexe sur le plan fiscal.  Plusieurs experts ont été nécessaires tout au long du projet – notaire, fiscaliste, avocat – et il y a eu bien des négociations entre les cédants, les repreneurs et les institutions financières impliquées. Bref, cet aspect du projet a nécessité pas mal de temps et de rigueur.
Geneviève Demers
Geneviève Demers
anciennement directrice générale des Bouquinistes et maintenant conseillère en développement coopératif à la CDRQ

Le découragement ponctuel de l’équipe, accentué par la durée de la démarche

PISTES DE SOLUTION :

  • Ne pas hésiter à demander du soutien auprès des autres, collègues et conseillers
  • Assurer une communication transparente et régulière entre les acteurs impliqués dans la démarche
  • Se rappeler de notre objectif final et les raisons pour lesquelles on y tient

La compréhension et l’assimilation du changement de culture d’entreprise par les travailleurs

PISTES DE SOLUTION :

  • Réitérer la raison d’être de l’entreprise et les valeurs de la coopérative
  • Solliciter régulièrement l’avis des membres travailleurs
  • Être à l’écoute les uns des autres

L’accompagnement de la CDRQ

Voici les principales actions menées par les conseillers et le directeur régional Saguenay Lac-Saint-Jean/Côte-Nord de la CDRQ pour accompagner les cédants et les repreneurs dans la démarche de reprise collective.

  • Valider l’intérêt des cédants à vendre à une coopérative et qu’elle réponde aux besoins du cédant.
  • Évaluer la préfaisabilité du projet en coop et identifier les principaux enjeux.
  • Évaluer l’intérêt des repreneurs à créer une coopérative pour racheter l’entreprise.
  • Évaluer la faisabilité du projet sur le plan financier | Faire des prévisionnels.
  • Accompagner dans l’élaboration du plan d’affaires et du montage financier préliminaire.
  •  Apporter un soutien à la création légale de la coopérative, aux règlements, l’assemblée de fondation et formation du CA.

Les facteurs de réussite

Une bonne préparation de la part des cédants et des repreneurs : s’informer, faire appel aux ressources existantes, déterminer les étapes du projet, planifier, etc.


  • Mettre sur pied un comité provisoire performant : c’est-à-dire composé de gens aux expertises complémentaires, avec un leadership et disponibles.
  • Aimer travailler en équipe pour construire un projet collectif.
  • Faire preuve de transparence, de collaboration et accepter de faire des compromis.
  • Assurer une communication claire et transparente entre les cédants et les repreneurs.
  • S’attendre aux délais potentiels : par exemple, les réponses des institutions financières, les démarches juridiques, etc.
  • Mettre par écrit les renseignements importants : par exemple, des ententes de confidentialité, des lettres d’intérêt, des lettres d’intention, etc.
  • Communiquer régulièrement à l’ensemble des membres de la coopérative pour garder la mobilisation.

Quand on m’a demandé de devenir membre utilisateur, j’ai tout de suite accepté. Je tenais à la librairie et je ne voulais pas la perdre. Au début, il y avait beaucoup de réunions car il y avait beaucoup de choses à faire et à apprendre. Ça n’a pas toujours été évident, mais on était bien soutenu, notamment par Geneviève Demers. Et le fait d’être plusieurs dans ce projet aidait car quand l’un commençait à se décourager un peu, les autres l’encourageaient. J’aime aussi le principe de la coop car j’aime sentir que je suis partie prenante. Je suis secrétaire sur le CA depuis un peu plus d’an et je suis très optimiste quant à l’avenir de la librairie. Les choses vont vraiment bien !

Isabelle Blier, membre utilisatrice

Les résultats

Grâce au travail assidu de Laval Martel et Anne Le May, la librairie Les Bouquinistes était très bien implantée dans son milieu et connaissait déjà un franc succès. Avec la création de la coopérative, l’entreprise continue de croitre, tant sur le plan de la rentabilité que celui de la notoriété.

Au printemps 2021, lorsque la coopérative a lancé un appel pour recruter des membres de soutien, la réponse ne s’est pas fait attendre ! “On a amassé quelque 50k$ assez rapidement !”, illustre Geneviève Demers, ex-dg de la librairie et maintenant conseillère en développement coopératif à la CDRQ.

Les affaires vont très bien. Je pense que ce succès ne dépend pas que de notre modèle d’affaires, mais beaucoup de la pandémie qui semble avoir ravivé l’amour des gens pour les livres.
Gabrielle_Simard_Les_Bouquinistes
Gabrielle Simard
Coordonnatrice à l’administration des Bouquinistes
Note
Au Québec, la vente des livres a augmenté de 16,3% en 2021 et de 0,3% en 2022.

Par ailleurs, avec le temps, l’expérience a fait son œuvre dans l’équipe. “On s’est fait la main et on est devenus de meilleurs gestionnaires, affirme Gabrielle. Maintenant, on tient des rencontres avec les membres aux deux mois alors qu’au début, on devait se rencontrer à chaque semaine.”

Des projets pour l’avenir ?  “Continuer à apprendre à bien maitriser tous les aspects de la coopérative et rafraîchir un peu l’aménagement de la librairie.”

Les ressources

Coopérative de développement régional du Québec (CDRQ)

Centre de transfert d’entreprise du Québec (CTEQ)

Organismes de développement locaux et partenaires financiers | MRC, SADC, Desjardins et ses filiales, Investissement Québec, Fiducie du Chantier de l’économie sociale, Filaction, MicroEntreprendre, RISQ

Soda Diack Coordonnatrice à la reprise collective
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