Si la coop Au bout du rang – une ferme maraîchère qui vend des paniers de légumes biologiques – n’était pas devenue une coopérative, sans doute que Camille Laurin n’aurait sans doute pu poursuivre l’aventure seule encore bien longtemps.
Reprise collective : le déclencheur
En 2016, Caroline Laurin a engagé quelques employés pour lui donner un coup de main, mais elle a néanmoins assumé seule les responsabilités de la ferme jusqu’en 2019.
« Seule, j’avais un peu l’impression de stagner, de ne pas pouvoir amener la ferme plus loin, confie-t-elle. Sans compter que la charge mentale était vraiment importante. » L’entrepreneure – qui avait participé à la coop du marché public de Joliette par le passé – voyait dans le projet de coop plusieurs avantages, tels que :
- Partager la gestion, diminuer la charge mentale.
- Se donner de meilleurs horaires de travail. « On ne fait plus d’heures excessives, dit Caroline. Généralement, on travaille de 8 h à 17 h, parfois 18 h. »
- Assurer une gouvernance en groupe, où chaque membre est égal.
- Valoriser les compétences de chacun.
« C’est difficile de partir une entreprise en étant seul. On ne peut pas être bon dans tout. La complémentarité des talents est importante et le fait de pouvoir déléguer permet de partager la charge mentale. » – Florian Rossignol, membre repreneur
La création de la coop Au bout du rang
Constituée en 2020, la coopérative loue 15 hectares et signe un bail de 5 ans. Quatre membres composent la coop, soit Olivia Ravenelle-Noël, Florian Rossignol, Charles Magny et Caroline Laurin.
Les relations entre Caroline, aussi cédante de la ferme, et les autres repreneurs, se sont bien passées. « On s’est entendus facilement sur la valeur des actifs de Caroline et on avait confiance, raconte Florian Rossignol. C’est surtout Caroline qui s’occupe de la gestion financière, moi je m’occupe de faire pousser des légumes. Et c’est parfait comme ça! »
Puisqu’on était en pleine pandémie, la coop a obtenu un prêt d’urgence de 60k$, qui a servi comme fonds de roulement. Pour ce qui est de la part de qualification* que les membres ont dû acquérir, elle était de 2000$ au départ mais est maintenant de 1000$.
La coop Au bout du rang a également reçu une aide financière du réseau Agriconseils.
En 2019, la ferme produisait 140 paniers et en 2023, ce chiffre est de 150. Les surplus sont vendus aux Marché de Joliette et aux Saveurs locales. L’objectif visé : au moins 20 paniers supplémentaires à chaque année.
* Part de qualification: selon la Loi sur les coopératives du Québec, une part sociale est de 10$. Mais le nombre de parts sociales exigées aux nouveaux membres constitue la “part de qualification”.
Le rôle de la CDRQ
Caroline Laurin a contacté la CDRQ pour lui soumettre le projet du transfert de la ferme. Comme le groupe de promoteurs avait déjà un plan d’affaires et des prévisions financières, leurs besoins consistaient à compléter les règlements et être conseillés quant à la façon d’administrer une coopérative. Pour se faire, une série de rencontres ont eu lieu, qui ont permis à la coop d’atteindre ces objectifs. La CDRQ a également permis à la coop d’accéder à la mesure de soutien au travail autonome (STA).
Par ailleurs, on a pris soin de diriger Au bout du rang vers d’autres ressources.
« Les entreprises agricoles ont accès à plusieurs services professionnel. Nous avons entre autres travaillé avec le MAPAQ pour remettre en question certains éléments, bonifier leur plan d’affaires et les prévisions financières. » – Alexandre Lemire, CDRQ
Les forces de la coop Au bout du rang
- Un accès à la terre à faible coût
- Un accès à de la machinerie et des outils à faible coût
- Une clientèle déjà présente
- Un groupe de promoteurs expérimentés
Ayant déjà travaillé ensemble, le groupe se connaissait bien et avait déjà établi un lien de confiance.
Les défis de la coop Au bout du rang
Une structure opérationnelle et une organisation des tâches à travailler.
- Pistes de solution : en se référant aux spécialistes de la CDRQ, les membres ont réussi à bien structurer leurs opérations et à rendre clair le rôle de chacun.
L’accueil de nouveaux membres. Le groupe avait admis un cinquième membre en 2021, mais celui-ci a quitté quelques mois plus tard. Les promoteurs admettent que l’intégration de nouveaux membres n’est pas nécessairement facile. Ils ne savent pas exactement comment faire.
- Piste de solution : impliquer les nouveaux membres dans le développement de la coopérative.
Une absence de vision à plus long terme.
- Piste de solution : s’asseoir avec la CDRQ ou un partenaire externe afin de réfléchir ensemble et d’établir un plan stratégique.
Faire la distinction entre ce qui relève du conseil d’administration et du comité de gestion.
- Outre des explications reçues, l’assimilation des rôles se fait au fil des expérimentations, avec le temps.
« Il est important de bien travailler à l’intérieur des différents rôles qu’occupent les membres dans la coopérative. Ils sont travailleurs, mais parfois ils sont administrateur lors de leur CA et, au moins une fois par année, ils sont tout simplement membre lors de leur AGA par exemple. Chacun de ces rôles a son importance pour la vie associative et la gouvernance de la coop. Il faut faire attention de ne pas mélanger tout ça. » – Alexandre Lemire, CDRQ
Les clés du succès
- Le transfert de la ferme en coopérative de travail s’est bien déroulé, car le groupe de promoteurs était prêt, expérimenté et avait un bon lien de confiance. Démarrer une coopérative à partir d’une entreprise déjà existante est un facteur qui aide souvent beaucoup. Posséder de l’expérience en agriculture est aussi, bien entendu, un élément avantageux.
- Lorsque le cédant devient membre de la coop, il est essentiel que celui-ci sache déléguer et respecter le champ de compétences de chacun. Le cédant doit également prendre le temps pour faire un bon transfert de connaissances.
L’apport du MAPAQ
Avec en main un plan d’affaires et des prévisions financières, le groupe de promoteurs s’est adressé au ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation pour obtenir de l’aide au démarrage et une subvention pour la relève.
Personne-ressource : Agronome et conseillère en économie et en développement agroalimentaire, Line Desloges est également responsable de la coordination du dossier relève agricole au Ministère. Son rôle : accompagner les entreprises agricoles en démarrage, en soulevant notamment des questions à propos de la fiscalité, de l’accès à la terre, etc. Madame Desloges et le groupe de promoteurs se sont rencontrés à quelques reprises.
Constats : Les forces de la coopérative viennent beaucoup du fait que Caroline Laurin avait des connaissances et une bonne expérience de travail, et qu’elle laisse de la place aux autres membres. La ferme est déjà en production et fait des ventes. Les défis quant à eux relèvent de l’apprentissage à bien travailler en équipe et l’exigence d’avoir une bonne rentabilité.
« Comme la terre ne leur appartient pas, il importe particulièrement d’avoir une bonne rentabilité. Bien en vivre est un défi et les membres doivent penser à l’après, à leur retraite. » – Line Desloges, MAPAQ
Aide reçue : Grâce au programme Relève agricole*, le groupe a reçu 17 000$ des 25 000$ disponibles pour l’achat d’équipements neufs. Note : les promoteurs n’ont pas reçu l’entièreté de la somme puisqu’ils n’avaient pas fait assez d’achats.
*Le programme Relève agricole a pris fin le 31 janvier 2024, mais il existe d’autres programmes potentiellement intéressants.
